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Wang Yi : l’habile diplomate de Beijing à l’heure de la recomposition mondiale (2/2)

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À l’image des deux Pixiu, ces statues de lions mythiques protégeant stoïquement les temples et les tombeaux et dont l’un est chargé de combattre les intentions hostiles et le second d’attirer la prospérité, la diplomatie chinoise possède une certaine ambivalence. D’un côté, nous l’avons vu, il s’agit de défendre un nouveau nationalisme et, notamment, le paradigme du Parti communiste chinois (PCC) sur l’histoire de la République populaire de Chine ; de l’autre, il s’agit de construire un monde multipolaire avec une Chine stable, fiable et championne du droit international en son centre. 

Wang Yi et Shinzō Abe en 2019. Tous deux nationalistes, ils ont réparé les liens diplomatiques entre leurs pays.
Wang Yi et Shinzō Abe en 2019. Tous deux nationalistes, ils ont réparé les liens diplomatiques entre leurs pays.

Un renard parmi les loups

Si, sous sa direction, le ministère des Affaires étrangères (MAE) promeut l’idéal de confrontation du loup-guerrier, Wang se garde bien de tomber dans les insultes et les formules irrévérencieuses. Pendant que des ambassadeurs tels que Zhao Lijiang, Li Yang, ou encore Lu Shaye en France, mènent une guerre culturelle sur les réseaux sociaux à coup d’invectives, voire de troll, Wang cultive, a contrario, une image d’élégance et de hauteur.

Ce qui lui permet de mener de nombreuses offensives de charme auprès de nations méfiantes vis-à-vis des politiques de Xi. Ceci lui vaut d’être surnommé « le pompier de Beijing » par Le Point. Au Japon, où il a été ambassadeur pendant de nombreuses années, il a laissé une image globalement positive, notamment par sa contribution au réchauffement des relations après la visite controversée de Jun’ichirō Koizumi  à un mémorial de l’ère Shōwa. En 2015, lors d’une visite en Thaïlande, Wang a reçu de nombreux compliments de la part du chef de la diplomatie thaï, le général Tanasak Patimapragorn. Celui-ci a salué la politesse et la gentillesse de son invité, avant de déclarer qu’il tomberait amoureux du diplomate s’il était une femme, sous le regard médusé de celui-ci. 

Cette posture est à la source d’une popularité inégalée dans l’histoire du MAE. En Chine, un compte de fans sur Weibo totalise plus de 130 000 abonnés. De nombreux gifs et memes, issus de ses interventions, sont partagés sur les réseaux sociaux. Sa défense « offensive » du paradigme chinois sur l’histoire de la République populaire de Chine (RPC) enchante autant les nationalistes que les personnes plus neutres qui apprécient peu le monde occidental. 

Wang Yi se démarque ainsi en 2016 lors d’une visite au Canada. Confronté à la question d’une journaliste pendant une conférence de presse, le diplomate se livre à une longue tirade en mandarin. Il dénonce les préjugés occidentaux sur la politique intérieure de Beijing ainsi qu’une ignorance envers un régime qui serait parvenu à sortir une grande partie de sa population de la pauvreté. Une réplique alors devenue virale, notamment par la performance de la traductrice. Une surprise explosive pour le ministre canadien des Affaires étrangères, Stéphane Dion, qui s’inscrit pourtant dans une nouvelle culture de la pratique diplomatique sous Xi Jinping.

En 2021, c’est désormais au tour de la diplomatie étasunienne d’être confrontée à cette montée en puissance de la diplomatie de Beijing. Lors du sommet tenu en Alaska, Wang Yi et Yang Jiechi, représentant la commission des Affaires étrangères du PCC, critiquent ouvertement la diplomatie des États-Unis et la promotion mondiale d’un système démocratique occidental. Chaque partie accuse l’autre d’avoir brisé le protocole diplomatique, mais ce qui a été retenu en Chine, est une phrase esseulée de Yang Jiechi, déclarant à Wang qu’il a mangé des nouilles instantanées dans son hôtel. Provoquant ainsi un outrage en Chine. Plusieurs internautes chinois estiment ainsi que leur délégation n’a pas été respectée si les diplomates ont dû se débrouiller pour se nourrir sur place.

La Chine, une superpuissance diplomatique bientôt superpuissance militaire ?
La Chine, une superpuissance diplomatique, bientôt superpuissance militaire ?

« Le monde, longtemps divisé doit s’unir ; longtemps uni, doit se diviser. »

La fameuse phrase d’introduction à la Romance des Trois Royaumes de Luo Guanzhong, légèrement modifiée, pourrait sans doute illustrer le monde tel qu’il est en 2025. L’ordre mondial issu de « l’après Seconde Guerre mondiale », fondé sur le respect du droit international, le respect des frontières et le libre-échange, est mis à mal par le néo-impérialisme de la Russie de Vladimir Poutine et des États-Unis de Donald Trump. Bien que partenaire privilégiée de la Russie, la Chine de Xi doit cependant jouer à l’équilibriste dans le soutien qu’elle peut fournir à la Russie dans sa guerre de conquête, sous peine de s’aliéner l’Union européenne (UE). Celle-ci est son deuxième partenaire commercial, devant les États-Unis, représentant 785 milliards de dollars d’échanges commerciaux en 2024.

Le retour au pouvoir de Donald Trump en 2025 a également amorcé un changement majeur. En quelques mois, la nouvelle administration a revendiqué le territoire canadien, prétextant une frontière artificielle, et annoncé sa volonté d’annexer le Groenland, le Canal de Panama et la bande de Gaza. En parallèle, une politique de droits de douane particulièrement agressive et chaotique vise autant les puissances alliées que les puissances rivales, avec un ciblage spécifique sur la Chine. Après une escalade mutuelle, la Chine se retrouve temporairement affublée de 145 % de droits de douane (depuis suspendus) sur ses biens exportés aux États-Unis, ce qui revient à un embargo de fait.

Cette situation offre cependant à Beijing l’opportunité de se faire le nouveau champion du droit international et du libre-échange. Lors de la 61e Conférence de Sécurité de Munich, tenue en février 2025, le Vice-président américain J.D. Vance a mené une attaque en règle contre les nations européennes. Il prit le parti de mouvements populistes. Lors de ce même sommet, Wang Yi a présenté un point de vue radicalement différent lors de son discours. Celui-ci intitulé « A Steadfast Constructive Force in a Changing World« , promeut précisément le libre-échange, le respect du droit international et les échanges commerciaux et diplomatiques fondés sur le respect mutuel. Wang s’est fait fort de louer les 50 ans de relations diplomatiques entre la Chine et l’UE, ainsi que de promouvoir des échanges mutuellement bénéfiques avec le bloc européen face à « l’intimidateur  » (ou « bully ») américain.

Néanmoins, un détail demeure : pas un mot sur le respect des frontières internationales dans le discours de Wang. Même si la Chine de Xi semble représenter un bastion de stabilité dans un monde changeant, elle nourrit ses propres ambitions territoriales vis-à-vis de la République de Chine. Que la conquête de Taïwan ait finalement lieu ou non, Wang Yi est déjà entré dans l’histoire de la République populaire de Chine. En effet, après son retour au ministère en 2023, il a le deuxième mandat de ministre des Affaires étrangères le plus long de la RPC depuis celui du maréchal Chen Yi.

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